Peut-on vraiment pêcher dans les parcs éoliens en mer ?

Retours d’expérience danois, allemands, anglais

©Archives Le TélégrammeEn baie de St-Brieuc, une pêche côtière jeune et dynamique

A 17 km du port d’Erquy, sur une zone de pêche de 75 km2 (concession totale : 103 km2), l’Etat envisage d’implanter 62 éoliennes de 216m de haut pour une durée de 40 ans. L’enquête publique approche, de nombreuses questions demeurent en suspens.

L’usine électrique sera plantée en plein cœur de la baie, dans le gisement de coquilles St-Jacques dit du large, la pointe sud du parc sera localisée dans le gisement principal, sachant que la pêche côtière en baie de St-Brieuc se caractérise par la drague à la coquille St-Jacques. 74 % des navires côtiers possèdent une licence coquille St-Jacques. La moitié des St-Jacques pêchées en France provient de la baie de Saint-Brieuc, soit environ 6500 tonnes par an. C’est une pêche gérée durablement sans surexploitation de la ressource, dépendant de quotas définis chaque année par l’Ifremer après évaluation de la biomasse exploitable.

Avec 280 navires de pêches immatriculés, les Côtes d’Armor occupent le 2ème rang en Bretagne, derrière le Finistère. 88% des navires sont déclarés en petite pêche. Les armateurs sont les patrons de leur navire. Les armateurs briochins sont plus jeunes que dans le reste de la Bretagne, avec une majorité âgée de moins de 40 ans, notamment sur le port de Saint-Quay-Portrieux.


Quelles conditions pour la  pêche si le projet de centrale éolienne voit le jour ?

On ne sait toujours pas ce qui serait imposé aux pêcheurs.

L’implantation des éoliennes modifiera nécessairement la ressource halieutique d’une part, les habitudes de pêche d’autre part. La question fondamentale de l’ouverture à la navigation, du droit de pêcher, de jour comme de nuit, n’a reçu pour l’instant aucune réponse précise du Préfet maritime. La décision appartient à la Préfecture maritime, ainsi que la définition des modalités, calendrier, métiers, zones d’exclusion et/ou de sécurité en cas d’autorisation.
Le 1er avril dernier, la Grande Commission Nautique (organisme consultatif qui réunit des représentants de l’Etat et des usagers de la mer), a rendu un avis favorable à l’unanimité à l’implantation de la centrale éolienne dans la baie.

Concernant la sécurité en mer, on peut lire :
« Il faudra s’adapter aux éléments rencontrés, fondations sur pieux ou jackets, éolienne ou sous-station… Néanmoins, le danger existe. Dans le champ de Barrow-in-Furness, au nord de Liverpool, un bateau de maintenance s’est retrouvé coincé à la marée montante dans un jacket. Le navire a été fortement endommagé et a dû être remorqué ». Jacques Sauban, Inspecteur général Atlantique de la SNSM
Ou encore à propos de la possibilité d’hélitreuillage au milieu d’éoliennes de 216m de haut : « Cette possibilité reste à confirmer dans la mesure où cela n’a jamais encore été pratiqué, ni testé ».

Le principe de la pêche au sein du parc est validé avec une réglementation stricte :

  • « limiter l’activité pêche à la seule pêche à la coquille pendant les créneaux d’ouverture, et en dehors de ces périodes laisser les instances de la pêche gérer la co-activité des différents types de pêche»
  • pour les arts dormant, une zone d’exclusionde 200m autour de la station électrique (6km2) et de 50m autour de chaque éolienne avec utilisation de gueuses à la place de grappins;
  • pour les arts traînant, une autorisation uniquement entre certaines rangées d’éoliennes, et hors zone centrale, « la distance minimale rapportée à la ligne d’éoliennes faisant l’objet d’une réflexion ultérieure

Par ailleurs, dès le début des travaux programmés en 2018, les chenaux d’accès aux ports de St-Brieuc et St-Malo seront allongés afin de contourner la centrale éolienne.

Pendant les travaux, la navigation sera interdite à tous les navires extérieurs à la zone de chantier pendant 2 ans.

Le procès verbal est disponible sur le site internet du SHOM.  http://www.shom.fr/le-shom/conseils-et-comites/les-commissions-nautiques/les-commissions-nautiques-2016/


Les impacts prévisibles sur la ressource et leurs conséquences sur la pêche

Plus de 23 000 tonnes de crustacés, coquillages, et poissons, ont été vendue aux criées d’Erquy et de St-Quay-Portrieux en 2015.

Coquilles St-Jacques, praires, palourdes, amandes, araignées, tourteaux, homards, seiches, encornets, bars, lottes, raies, grondins, St-Pierre, églefins, etc., les 77 km² préemptés pour la centrale éolienne abritent une rare richesse halieutique réglementée et à forte valeur ajoutée.

Ce à quoi peuvent s’attendre les pêcheurs :

o  La destruction des fonds marins
o  La pollution aux métaux lourds de l’eau de mer de toute la baie, et au-delà, de l’océan (15 tonnes d’anode sacrificielle par éolienne)
o  Une vie marine asphyxiée
o  Une augmentation du trafic maritime
o  La possible fermeture de certaines zones
o  Une augmentation du bruit sous-marin
o  Des vibrations éoliennes transmises au socle rocheux et au sable qui le recouvre
o  Des champs électromagnétiques autour des câbles électriques
o  Des câbles électriques, des empilements de roches pour les maintenir en place, qui seront autant d’obstacles sur lesquels s’accrocheront dragues, filets, palangres.


Qu’en est-il à l’étranger ? Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Suède, la navigation dans les parcs éoliens est interdite aux pêcheurs. Au Danemark des restrictions proches de l’interdiction

Allemagne   Allemagne

La navigation et la pêche sont interdites dans tous les parcs éoliens allemands sans dérogation administrative possible. A cette interdiction s’ajoute l’interdiction de naviguer, l’interdiction d’utiliser des filets chalut de fond, dérivants ou autres équipements similaires dans une zone dite de sécurité de 500 mètres autour du parc.
Source BSH, Organisme d’état allemand délivrant les autorisations d’installation et d’exploitation des parcs éoliens en mer, Bundesamt für Seeschifffahrt und Hydrographie, Interdiction de circuler dans tous les parcs eoliens offshore allemands, janvier 2016
http://gardezlescaps.org/wp-content/uploads/2015/08/Interdiction-de-circuler-dans-tous-les-parcs-eoliens-offshore-allemands-01-2016.pdf

Belgique   Belgique

Même réglementation en Belgique,
« Il est interdit de naviguer et de pêcher à proximité des éoliennes.»
Source Plan d’aménagement des espaces marins Belge page 6

Pays-Bas   Pays-Bas

Même réglementation aux Pays-Bas,
« Aucun bateau n’a le droit de naviguer et la pêche est interdite. »
Source de Volkskrant-Amsterdam, 21 septembre 2011, http://www.volkskrant.nl

Danemark  Danemark

Au Danemark, la pêche côtière a presque disparu. « Les espaces à l’intérieur et en bordure immédiate du parc éolien constituent une zone marine protégée dans laquelle la pêche est restreinte. »
Source : Étude sur les parcs éoliens en mer publiée par les promoteurs et l’administration danoise, page 78 http://ec.europa.eu/ourcoast/download.cfm?fileID=975

Royaume-Uni  Grande-Bretagne

En Grande-Bretagne, la pêche est autorisée dans les parcs éoliens, mais beaucoup de marins-pêcheurs abandonnent ces zones de pêche parce qu’elles sont devenues trop dangereuses : danger des collision, danger des engins de pêche qui s’accrochent dans les structures ou dans les enrochements qui recouvrent les câbles.
Les bases des éoliennes mettent les bateaux en danger, marées fortes et grosses vagues balancent loin du bateau et emmêlent facilement les engins de pêche autour des pieux et des structures sous-marines. En Grande-Bretagne, il est demandé aux pêcheurs de ne pas s’approcher à 55 mètres d’une turbine. En cas d’incident, les pêcheurs ne sont pas autorisés à démêler leurs engins. Ils doivent signaler l’incident et attendre que l’exploitant leur fournisse des engins de remplacement.

o Greater Gabbard

A 25 km au large des côtes du Suffolk, 140 éoliennes Siemens pour une capacité de 500 MW

La pêche a quasiment disparu, les pêcheurs ont été contraints d’abandonner leur métier.

Témoignage de Ben Stebbing, ancien marin pêcheur reconverti dans le transfert de personnel sur les champs éoliens.
« A l’époque où j’ai créé la société Enviroserve, à Lowestoft, dans le sud-est de l’Angleterre, les pêcheurs n’ont pas eu trop d’alternative. Soit on prenait un chèque en contrepartie de l’abandon de notre métier, soit on se reconvertissait dans le transport de passagers. … Dans ma région, la pêche a quasiment disparu et il n’est pas possible de pêcher à l’intérieur des champs éoliens. »

«… lors des phases de construction des parcs éoliens. C’est la période où il y a beaucoup de demandes dans notre métier. A titre d’exemple, London Array, le plus grand parc sur lequel nous avons travaillé a mobilisé 35 bateaux de transfert pendant la construction. Aujourd’hui, en phase d’exploitation, il n’y a plus besoin que de 4 navires. »

Bateaux de transfert : « Il faut être capable de proposer la télé, des douches, le couchage à bord, l’air conditionné… » « Chez nous, les premiers à arriver ont été les Néerlandais. »

Pas d’emplois durables créés. « Dans six mois, l’activité va peut-être redémarrer. Il y a de gros projets au nord du Pays de Galles »

Source http://www.entreprises.ouest-france.fr/article/pecheur-anglais-reconverti-dans-leolien-offshore-26-09-2013-110971

Ceux qui sont restés sont amers, la ressource a fortement diminué, les fonds marins sont dangereux.

« Désormais, les bateaux de pêche d’Aldeburgh sont incapables d’accéder à d’importants stocks de soles de Douvres à environ deux miles au large de la côte, en raison des perturbations causées aux fonds marins par le chenal du câble d’atterrage.

Les promoteurs s’étaient engagés à remettre les fonds marins dans leur état d’origine une fois les travaux terminés, mais ils ont prétendu qu’ils n’avaient pas réussi, ce qui a créé des obstacles et des risques pour les bateaux et pour les filets.

Jerry Percy, porte-parole de l’Association des pêcheurs côtiers :
« L’impact du développement de ces sites éoliens sur les stocks et sur les marins pêcheurs est très préoccupant ». La pêche artisanale étant déjà sous pression, ces perturbations supplémentaires pourraient signifier la fin de l’activité.

« Nous avons été ici depuis des générations et pourtant avec ces développements, les promoteurs nous poussent dehors. »

Le porte-parole de Greater Gabbard Offshore Winds Limited (GGOWL) a répondu que des réunions régulières avec les représentants de l’industrie de la pêche avaient été tenues pour tenir compte des préoccupations des marins pêcheurs. »

Source  EAST ANGLIAN Daily Times février 2015 http://eadt.co.uk/1.3945934

o London Array

A 28,6 km au large de Foreland sur la côte du Kent en Angleterre, 341 éoliennes Siemens pour une capacité de 1000 MW.

Des câbles à éviter

« Il est difficile de pêcher au London Array. Dans un parc éolien, tout utilisateur d’une drague doit savoir précisément où se trouvent les câbles, qu’ils soient ensouillés ou non. Cette information est vitale pour éviter d’être pris sur le câblage sous-marin.

Et c’est dangereux en cas de mauvaise visibilité, d’autant que les radars sont très imprécis à causes des ondes électromagnétiques émises par les éoliennes. En effet,chacune d’entre elles est représentée par une tache oblongue d’environ 1 km sur l’écran radar, donc sa position est très vague.

De plus, l’image radar d’un autre bateau peut se confondre avec l’image démesurée d’une éolienne. D’où le danger de collision par brouillard ou mauvais temps. Et ces jours-là, les équipes de sauvetages seront à peu près impuissantes pour intervenir dans le parc éolien, pour les mêmes raisons. »
Source  http://www.seakeeper.org/?page_id=1298

o Thanet

A 11 km au large des côtes du district de Thanet, dans le Kent, 100 éoliennes Vestas pour une capacité de 300 MW.

Des radars brouillés

« Le radar était de peu d’aide. Les pales créent un champ électromagnétique qui interfère avec la façon dont chaque éolienne apparaît sur le radar. Au lieu de se présenter comme des points, elles apparaissent comme des lignes horizontales obscures quelle que soit leur taille.

Par beau temps, traverser un parc éolien ne semble pas poser de risque majeur. « Il suffit de regarder par la fenêtre » pour voir ce qui est autour de votre bateau au lieu de compter sur le radar ». Mais par mauvais temps – un brouillard inattendu, un gros temps, des grosses vagues, des marées rapides, naviguer avec la précision du radar est d’une importance vitale. Si un pêcheur ne peut pas dire où il est par rapport aux éoliennes ou d’autres bateaux, les chances de collision sont élevées. Et les sauvetages en hélicoptère ne peuvent pas être menés dans les parcs éoliens.

« Il vous faut réfléchir à deux fois avant d’entrer dans un parc éolien ».


Danger des câbles sous-marins. Un exemple récent en baie de Saint-Brieuc

En baie de Saint-Brieuc, deux câbles sous-marins de fibre optique ont été installés en 2001 entre les Etats-Unis et l’Europe, « Flag Atlantic-1 », soit 14.500 km de longueur pour un investissement de 1,13 milliard d’euros. Un câble relie Long Island (USA) à la plage du Palus à Plouha avant de rejoindre la station télécom de Plérin. Le second relie Long Island à la plage des Rosaires à Plérin, avec un détour par la Cornouaille où il alimente la Grande-Bretagne. Ce second câble passe par le gisement de coquilles Saint-Jacques de la baie de Saint-Brieuc.

Le passage répété des dragues des coquillers a désensouillé le câble. Le risque de croche par les engins de pêche s’est accru, plusieurs incidents ont eu lieu.

Le constructeur a jugé trop coûteux de ré-ensouiller le câble. L’autorisation d’occupation du domaine maritime n’a pas été été prorogée. Un tronçon de 7 km a déjà été retiré en septembre 2015, avant le lancement de la campagne de pêche à la coquille. Pour enlever le reste jusqu’à la limite des eaux territoriales françaises, une autorisation préfectorale est nécessaire, et donc une enquête publique. Le coût de ce démantèlement prévu avant l’été est de 2,28 millions d’euros.
Source  http://www.ouest-france.fr/bretagne/plerin-22190/flag-atlantic-1-le-tres-cher-cable-sous-marin-naura-vecu-que-15-ans-4083741


L’écosystème de la baie de St-Brieuc a fait vivre des générations de pêcheurs. Qu’est-ce qui justifie une privatisation industrielle de cet espace préservé, protégé, géré ?

Il ne s’agit pas de pourfendre le développement des énergies renouvelables en mer, mais de s’interroger sur le bien fondé de l’éolien industriel côtier, quand son implantation impose l’appropriation et l’industrialisation des espaces collectifs de pêche par un consortium privé international.

180 km2 de la baie de Saint-Brieuc ont été préemptés.

Cette industrialisation de l’espace maritime public voulue par l’Etat se fait au dépends de l’économie locale, des populations riveraines, des marins pêcheurs.

Les marins pêcheurs vont supporter d’énormes impacts négatifs par la perte de zones de pêche, et par la dégradation globale de l’écosystème de la baie, qu’aucune mesure de compensation financière ne pourra restaurer. Le temps des écosystèmes est infiniment long, celui des destructions singulièrement rapide.

La multiplication des projets EmR le long du littoral breton et du littoral français met en péril l’avenir de la pêche professionnelle au profit d’une énergie hors de prix, subventionnée, de mauvaise qualité (intermittente), non décentralisée (consommation nationale ou européenne), polluante (430 kg de terres rares par éolienne en mer et relarguage d’environ 100kg d’aluminium par jour dans la colonne d’eau pour la centrale), nocive pour tous les organismes vivants (infrasons, ondes basse fréquence, champs électromagnétiques).

Enfin, il faut réaliser que ce projet dont le coût s’élève désormais à 2,7milliards d’euros hors aménagement terrestres et portuaires, produira en 365 jours à peine 1 journée de la consommation électrique des Français …

©Greater Gabbard