Energies renouvelables, la Cour des Comptes épingle sévèrement l’Etat

GARDEZ les CAPS COMMUNIQUE DE PRESSE du 18 octobre 2013

Énergies renouvelables, Éolien, la Cour des Comptes se livre à un véritable réquisitoire et épingle sévèrement l’Etat.

L’attribution du projet de parc éolien offshore en Baie de Saint-Brieuc à Ailes Marines est pointée comme « pipée ».

Dans son dernier rapport sur la politique de développement des énergies renouvelables,  la Cour des Comptes dresse le bilan de l’éolien en France et livre un réquisitoire d’une rare sévérité à l’encontre des projets d’usines éoliennes en mer.

L’analyse de la Cour des Comptes révèle un appel d’offres truqué, des risques non évalués, des rythmes de coûts qui s’accélèrent, des tarifs explosifs, des emplois illusoires, des études d’impact inexistantes. L’attribution à Ailes Marines du projet de parc éolien offshore en baie de Saint-Brieuc est épinglée.

La lecture des titres de chapitres du rapport de la Cour des Comptes « La politique de développement des énergies renouvelables » suffit pour mesurer l’ampleur de la critique faite par une institution au langage ordinairement mesuré.

Objectifs, production réelle, coûts, politiques de soutien, réalité des emplois créés, déstabilisation du marché de l’électricité et des réseaux d’acheminement, augmentation des émissions de CO2 etc., la charge est sévère, et démontre que les décisions sont prises sans aucune visibilité énergétique, financière, économique, environnementale (1).

(1) L’aspect environnemental (faune, flore, milieu aquatique, paysages) n’entre pas dans les attributions de la Cour des Comptes dont le rôle est de contrôler le bon emploi et la bonne gestion des fonds publics. Il est soulevé mais non étudié. Personne ne l’étudie d’ailleurs, sauf les promoteurs des projets à qui l’Etat délègue cette tâche …

Voici un florilège non exhaustif des 241 pages de ce rapport consacré aux énergies renouvelables et à l’éolien industriel en mer dont le projet en baie de Saint-Brieuc, rapport que politiques, décideurs, élus, devraient lire pour décider en toute connaissance de cause.

Des décisions prises sans visibilité 

 « Alors qu’il engage la collectivité sur des sujets financièrement très lourds … l’Etat ne dispose que d’informations lacunaires et dispersées sur les coûts de production … Ce déficit d’expertise place l’Etat dans une position d’asymétrie d’informations vis-à-vis des industriels qui peut être source de dérive des dépenses et de situation de rente pour certains investisseurs … »  (p.63,64)

Constat qui prend tout son sens à la lecture du premier appel d’offres Eolien en mer lancé par l’Etat : aucune spécification technique, ni contrôle, ceux-ci sont laissés « aux bons soins » de l’exploitant !

Eolien Offshore : «…  tous les acteurs s’accordent à considérer que les incertitudes techniques des projets sont élevées et se caractérisent par un niveau de risque moins maitrisé, notamment en raison de la diversité des fonds marins et des contraintes liées à ce milieu. » (p.43)

L‘éolienne M 5000-135 d’AREVA Wind GMBH prévue pour Saint-Brieuc est le modèle boosté (pales agrandies) de la M-5000-116. Ce nouveau modèle qui balaiera une surface de 14 314 m2 (près de 1,5 hectare) n’existe qu’en prototype. On ne sait toujours pas aujourd’hui si les fondations seront des Jackets ou des Pieux ce qui impacte fortement les coûts mais aussi l’environnement et l’emploi.

Les appels d’offres : « une procédure parfois non justifiée, pas toujours efficace et aux effets déstabilisants » (titre du paragraphe B.2 p.51)

« Ainsi l’appel d’offres lancé en 2011 pour développer les parcs éoliens en mer n’a pas réuni les meilleures conditions pour limiter les prix … En outre, le prix de référence, publié dans l’appel d’offres, n’a pas été respecté pour trois des quatre sites concernés ». (p.52)

La Cour des comptes rappelle qu’une procédure d’appel d’offres doit respecter « un cadre règlementaire garantissant la stricte égalité de traitement des candidats. Ainsi, les offres retenues sont celles qui sont les mieux notées à partir de critères transparents, objectifs … »

L’attribution de la zone de Saint-Brieuc à Ailes Marines

« …Dans le cadre de l’appel d’offres de juillet 2011 relatif à l’éolien en mer, le site de Saint-Brieuc a été attribué à la société Ailes Marines SAS recourant aux turbines d’AREVA (1) alors que la société Eolien Maritime France (2) était mieux classée par la CRE (Commission de Régulation de l’Energie). La DGEC (Direction Générale de l’Energie et du Climat) proposait pour sa part une solution de remise en jeu du lot de Saint-Brieuc avec celui du Tréport, qui n’avait pas été attribué, mais elle n’a pas été non plus suivie par le Ministre. L’option retenue visait à donner la possibilité à AREVA de maintenir un programme industriel autour du Havre avec l’espoir de se repositionner sur un deuxième appel d’offres étendu au Tréport. Elle a abouti à privilégier un candidat en dépit d’un prix plus élevé que celui proposé par EMF. » (p.66)

Ce paragraphe éclaire la raison du refus de l’Etat et d’Ailes Marines de dévoiler le prix de vente de l’électricité négocié pour l’appel d’offres de Saint-Brieuc. Il permet également de comprendre le recours contentieux déposé devant le tribunal de Rennes par le concurrent d’Ailes Marines évincé, Nass & Wind Offshore.

Cela signifie également que les emplois promis par Ailes Marines et AREVA dépendent de l’obtention de marchés futurs, hypothétiques pour l’instant.

Et aussi que pour le deuxième appel d’offres, le Tréport à nouveau (500 MW sur 110 km2) et la zone près des îles d’Yeu et de Noirmoutier (480 MW sur 79km2), soit les résultats seront encore « pipés », soit les promesses d’emploi d’Ailes Marines/AREVA se réduiront comme peau de chagrin.

(1) Iberdrola, énergéticien espagnol, et EOLE-RES SA d’origine anglaise – éoliennes fournies par AREVA

(2) EDF Energies Nouvelles et Dong Energy Power (Danemark) – éoliennes fournies par ALSTOM

Le calcul des coûts

« En outre, les calculs sont réalisés avec des hypothèses de facteurs de charges qui se situent systématiquement à la limite supérieure de ce qui est techniquement possible pour les installations. » (p.41)

Le taux de production annoncé par Ailes Marines (36% de la capacité installée) relève de ce mode de calcul : à ce jour, aucune centrale offshore n’a atteint ce pourcentage qui de plus omet les pertes dues à la transformation du voltage du courant émis par les éoliennes, etc.

« En revanche, … ils [les calculs] ne tiennent pas compte des coûts fiscaux (dispositifs divers 1,306 Md€ en moyenne annuelle 2005/2011– p.87), des coûts de recherche (200 M€/an 2012 – p.89), ou encore des coûts induits par l’adaptation des réseaux de transport et de distribution (p.96), etc. »

La Cour des Comptes constate que l’ensemble des coûts n’a jamais été additionné, si tant est qu’on puisse les connaitre :

La politique de soutien (fiscalité à la charge du contribuable). « Le coût total de la politique de soutien est estimé à « 14,307Milliards d’€ pour l’ensemble des énergies renouvelables » (p.121) et à « 1,338 Milliards d’€ pour l’éolien » pour la période 2005/2011. » (p.94)

La Cour des Comptes note que le rythme des coûts s’accélère : environ 4 fois plus en 2011 qu’en 2005 (p.95 voir les chiffres).

L’obligation de rachat par EDF de l’électricité produite : CSPE  à la charge du consommateur. « Mais cette progression du soutien apparaît encore comme limitée au regard de celle enregistrée par la seule CSPE en 2012 et 2013 selon la CRE …. respectivement 2,2 Md€ et 3 Md€…. le volume global de la CSPE liée aux énergies renouvelables peut être estimé à environ 40,5 Milliards d’€ pour la période 2012/2020 contre 3,3 Milliards d’€ pour la période 2005/2011. » (p.95)

Les dépenses des collectivités locales impossibles à estimer« Il n’existe aucun suivi centralisé des actions menées au niveau local en faveur des énergies renouvelables, ni de leur coût. Le recensement de toutes les actions et dépenses publiques des collectivités locales dans ce domaine n’est pas possible …. »  (p.94)

Les centrales thermiques de back up dont le coût n’a toujours pas été estimé«… Aucune étude sérieuse sur le besoin de développement des centrales thermiques (fioul, gaz, charbon) n’a encore été menée permettant d’estimer pour la France le coût des unités de back up induites par le développement des énergies renouvelables. » (p.77)

Seule l’UFE dans son rapport « Electricité 2030 » a donné une estimation du nombre de centrales thermiques à gaz ou à charbon nécessaires à horizon 2030 soit entre 30 à 50 selon les scénarios.

Les coûts d’adaptation du réseau et une technologie qui reste à inventer« Les coûts globaux d’intégration aux réseaux sont à préciser » (titre du paragraphe B-1 p.96)

Faute d’estimations fiables, la Cour des Comptes se raccroche aux données chiffrées de l’Allemagne : « L’Allemagne doit, en effet, faire face à des investissements indispensables d’ici 2022 dans les réseaux pour un montant évalué par les gestionnaires entre 19 et 23 Milliards d’€ sans compter le coût du raccordement des parcs éoliens en mer estimés à 12 Milliards d’€. » (p.97)

« Or les responsables de réseaux ne disposent pas aujourd’hui de dispositifs permettant de commander les installations d’énergies renouvelables. Ces outils sont encore en phase expérimentale. » (p.78)

«… par ailleurs, l’intégration des énergies renouvelables dans les réseaux nécessite un système de gestion qui reste à inventer. » (p.113)

« La réflexion sur l’évolution des réseaux doit donc être menée … avant même d’envisager une augmentation massive du recours aux productions électriques renouvelables. » (p.114)

« Besoin de lignes supplémentaires très haute tension, etc. » (p79)

Il semble que seule la Cour des Comptes ait tenté de faire des additions, tâche qu’elle n’a pas pu mener à bien. Outre la « rentabilité » en terme investissements/résultats, la faisabilité est remise en cause. D’où cette réflexion sur les projets éoliens en mer :

« Dans la mesure où la France dispose d’un potentiel éolien terrestre élevé et où ils reposent sur un pari industriel coûteux, les projets d’éoliennes en mer auraient pu attendre la réalisation d’études économiques et techniques abouties. » (p.117)

Les tarifs d’achat  « … fixés par arrêté et en décalage avec le cadre légal » (p.50)

« Les pouvoirs publics courent le risque d’offrir des rémunérations excessives aux producteurs et de déséquilibrer les marchés par des tarifs administrés déconnectés des coûts ».

« La déstabilisation du Marché électrique » (Titre Chapitre II.A p.99) : «  ….la raison de ces différentes anomalies [injection obligatoire sur les réseaux de l’électricité produite par les ENR, d’où un prix parfois négatif quand nous exportons une surcapacité (nous payons pour que d’autres pays utilisent la production inutile), non rentabilité de certaines centrales à gaz indispensables pour le Back up mais utilisées en appoint …] résident principalement dans le fait que les producteurs d’ENR ne sont pas soumis aux fluctuations du prix du Marché puisque le prix d’achat de leur électricité est garanti. »

Les impacts socio économiques, l’emploi

« La faiblesse d’expertise de l’Etat se retrouve également dans sa capacité à connaître l’impact socio économique des décisions prises. Cela peut le conduire à lancer des projets très coûteux pour la collectivité et les consommateurs sans que les bénéfices attendus ne se produisent. » (p.65)

« Les évaluations économiques ne sont pas aujourd’hui réalisées et ne peuvent donc éclairer la décision publique » (p.65).

« Le seul recensement des emplois directs semble problématique ». (p.64)

Eolien en mer : « Ainsi par exemple, la décision de développer une filière éolienne en mer a été justifiée par les perspectives en termes d’exportation et de création d’emplois. Or, à l’exception d’une étude demandée à un cabinet de conseil, elle ne s’est appuyée sur aucune évaluation économique portant sur l’emploi induit, le développement industriel à long terme, sur les marchés français mais aussi britanniques pourtant présentés comme complémentaires… Le coût pour le consommateur (hors contribuable) des projets attribués à l’issue du 1er appel d’offres est pourtant estimé par la CRE à 1 Milliard d’€ par an pendant 20 ans, soit 20 Milliards d’€ » (p.65)

« L’éolien en mer, un pari industriel risqué » (titre paragraphe 2 p.102)

« Les capacités industrielles d’AREVA (Saint-Brieuc – Construction usine au Havre) et d’ALSTOM (Fécamp, Courseulles et Saint-Nazaire – Construction usine à Brest) devraient osciller entre 50 et 100 turbines par an mais l’activité générée (2 à 3 ans) par le 1er appel d’offres ne suffira pas pour rentabiliser les usines construites. La réalisation de l’objectif [de l’Etat] 6 GW [éolien en mer] à horizon 2020 n’amènerait au mieux que 4 à 6 années de plan de charge. Les investissements à réaliser ne seront donc rentables que si des marchés en Manche et Mer du Nord sont accessibles à l’exportation.

La Grande-Bretagne se propose de développer fortement l’éolien en mer en assurant un développement industriel sur son territoire

La politique de soutien du gouvernement anglais a toutefois récemment été revue à la baisse et certains projets industriels ont été abandonnés.

Si les perspectives sur le marché britannique n’aboutissent pas, de nouveaux appels d’offres, financés par une augmentation de la CSPE risquent d’apparaître comme la seule solution pour maintenir le plan de charge des usines françaises. » (p103)

« A moyen terme les estimations d’emplois créés par l’éolien en mer ne peuvent être validées ni par l’Etat ni par la Cour. …. Aucune étude n’a été menée permettant de valider les chiffres [des plans de charge donnés par les industriels] et d’affirmer qu’il s’agira de création ou de redéploiement d’emplois locaux. » (p105).

« Enfin de façon générale, les conséquences du développement des ENR sur l’emploi en France sont modestes et le suivi qui en est fait aujourd’hui ne permet pas de faire la part entre création et redistribution des emplois » (p120).

« …. de sorte qu’on peut difficilement évaluer si la politique [de soutien au sens large] a des effets négatifs ou pas sur l’emploi. » (p 106)

Un rapport public que chacun peut lire, accessible en ligne sur le site internet de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes

« C’est un grand tort d’avoir raison avant tout le monde » (Edgar Faure) comme nous avons pu le constater lorsque nous contestions la pertinence des choix et des chiffres annoncés (production, emplois, coûts/efficacité etc ). Sur le fond, nous ne nous réjouissons pas d’être confortés en tout point par la Cour des Comptes.

Malheureusement « Une erreur ne devient pas une vérité, parce que tout le monde y croit » (Raymond Aron) ou veut y croire.